Rencontre avec Youssef Boubekeur
Rencontre avec Youssef Boubekeur, illustrateur sur Paris, qui nous parle de son art « bestial » réalisé au BIC. Il capture les regards et les sentiments dans ses traits vifs, doux et modernes. Et dans ces œuvres bleutées, saura-t-on un jour si c’est l’homme ou l’animal le sauvage ?

Quel a été ton parcours ?
Je suis architecte de formation. J’ai étudié à l’Ecole d’architecture de la Villette, puis à l’Université Waseda à Tokyo. Depuis, j’ai travaillé régulièrement comme scénographe. Pendant mes études, j’ai rencontré le street artist JR. Je l’ai souvent accompagné dans différents de ses projets, en Israël, au Brésil, en Chine ou encore en Turquie.
Cette passion du dessin m’est venue depuis l’enfance. J’étais fasciné par un tableau de Matisse « La Tristesse du Roi », puis j’ai découvert des peintres contemporains comme Picasso avec ses minotaures et ses différents portraits. Je m’amusais à reproduire leurs peintures et surtout leurs personnages.
Je me souviens que mon père m’interdisait de dessiner, tellement j’y passais du temps ! Plus tard, mon dessin s’est trouvé grandement influencé par la bande dessinée, manga et comics. J’en ai lu des centaines, j’étudiais leur univers graphique, et la technique de leurs auteurs. Ils m’ont énormément apporté.
Tu réalises tes dessins au stylo bille. Quel a été l'élément déclencheur ?
Je n’ai pas toujours dessiné au stylo Bic, mais il est devenu, c’est vrai, ces dernières années, mon instrument de prédilection. Je l’aime parce qu’il est précis, mais... indélébile. C’est un trait sur lequel on ne revient pas. Aussi précis qu’il soit, il donne à mon dessin un caractère plus spontané : je dois construire avec et sur mes erreurs. Elles font partie intégrante de mon dessin, de mon processus de création. Mon dessin est un art de la précision…mais pas du regret ! J’aime cette idée.
Les gens ont souvent tendance à penser qu’il est plus dur de dessiner au stylo, plutôt qu’au crayon. En fait pour moi, c’est plutôt l’inverse. Le Bic m’aide à ne pas revenir indéfiniment sur mon dessin, mais toujours de continuer, d’aller de l’avant. Du reste, construire sur mes erreurs est en réalité très agréable. Je dis souvent que je travaille mes dessins comme on sculpte de la matière.
Et, j’aime le bleu du Bic. C’est amusant, s’agissant d’un instrument de la vie courante, d’une banalité totale, qui n’a des fins qu’utilitaires et absolument pas esthétiques. Mais ce bleu est très beau. Il me permet de jeter un voile doux et apaisé sur l’hyperréalisme de mes dessins.

Parle-nous de ton art.
Très simplement, je dessine ce que j’ai envie de dessiner. J’ai une passion évidente pour le portrait. Un intérêt particulier pour les regards. Quand un regard, une expression, m’arrête ou me touche, il me prend envie de le dessiner. J’ai bien évidemment des thèmes de prédilection. Par exemple, j’adore surprendre un regard éminemment humain – parce que complexe, particulièrement expressif ou intense – chez un animal. Je trouve ça particulièrement déstabilisant, parce que cela interroge sur des choses très profondes : le sentiment d’altérité, la condition humaine et sa part animale.
Ma première exposition consistait ainsi en une galerie de portraits : des têtes – des « visages » ! – des animaux sur des corps humains, habillés. Pour le sous-titre de l’exposition, j’avais retenu une citation de Paul Valéry : « L’homme est un animal enfermé à l’extérieur de sa cage ». Ce thème me fascine. Je joue de ces questionnements à travers mon « bestiaire » : une galerie de portraits animaux transfigurés, saisis soudain dans leur humanité. A travers un regard, une expression, je cherche à faire apparaître les troublants points de contact entre l’homme et l’animal. Le travail sur le regard est essentiel, presque obsessionnel. L’animal exprime-t-il la tendresse, le doute, l’envie ? L’amour ? Ou est-ce l’homme qui parfois exprime la plus parfaite sauvagerie ? L’homme qui danse est-il l’expression d’une sophistication avancée et civilisée, ou au contraire celle d’une pulsion instinctive, physique et bestiale ?
Pour ce qui est de ma « sur »consommation de BIC, j’en consomme de toutes sortes. Il y a différent BIC: traits fins, moyens, épais et je gère ces différentes caractéristiques de stylos en fonction des parties de mon dessins. Un fin me permettra d’entrer plus en détails, un stylo épais sera utilisé pour les aplats.
Je continue à travailler la mine de plombs et je souhaite très bientôt me mettre à la peinture.
Qui ou qu'est-ce qui t'inspire au quotidien ?
Pour mon travail et les histoires que je voudrai raconter : l’être Humain de manière générale. Mes amis, ma famille, les gens que je côtoie au quotidien ou que je rencontre. Notre société et celles d’ailleurs.
Tu exposes principalement, pour le moment, en France. Que préfères-tu justement en France et/ou chez les français ?
La diversité ! Voilà ce que j’aime en France. Je suis français avec mon histoire, mes racines, mon parcours, mes rencontres. J’ai été amené à connaitre et entendre d’autres histoires. La France est un véritable kaléidoscope culturel qui s’est construit à travers plusieurs vagues d’immigration. De l’immigration auvergnate, bretonne à la décennie dé-coloniale d’Afrique et d’Asie, l’histoire nous montre que l’immigration a aussi bien eu un impact positif que négatif sur la société française au niveau démographique, économique et social.
As-tu un village français préféré ?
Je n’en connais pas beaucoup mais j’ai eu la chance de connaitre un petit village auvergnat : Blesle, avec un peu plus de 600 habitants. Un village qui m’avait marqué. Sublime !
Quels sont tes projets à venir et peut-on savoir si tu utiliseras un jour une autre couleur de stylo bille ?
La peinture est la prochaine étape dans mon travail en atelier. Je suis aussi en préparation d’un projet d’installation dans la nature.
Et il m’arrive d’utiliser d’autres couleurs de stylo. Ça ne se voit pas trop mais ça arrive !

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